Implication d’un concours bancaire en matière de blanchiment d’argent
L’article 324–1 du code monétaire et financier donne une définition du blanchiment :
« Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment, le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit. »
Il existe une obligation de formation LCB-FT continue.
Quelles professions sont soumises à la LCB-FT
L’article L561–2 du code monétaire et financier énonce les personnes assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Les personnes soumises à ces obligations comprennent notamment :
- les établissements de crédit,
- les établissements de paiement,
- les établissements de monnaie électronique,
- les établissements ci-dessus cités ayant leur siège social dans un autre État membre de l’Union européenne ou faisant partie à l’espace économique européen,
- les entreprises d’assurance, etc.
Quelles sont leurs obligations en matière de LCB-FT ?
Des mesures de vigilance
Ces personnes sont assujetties à des mesures de vigilance consistant en une évaluation des risques liés à leur activité en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
Elles mettent en place une méthodologie qui permet d’évaluer le risque.
Ainsi lors de l’entrée en relation avec le client elles doivent identifier celui-ci et les bénéficiaires effectifs, vérifier les éléments d’identification sur justificatifs. Pendant toute la durée de la relation d’affaires, elles doivent pratiquer un examen régulier et attentif des opérations effectuées avec le client.
Déclaration de soupçon ?
Lorsqu’elles soupçonnent que les opérations constituent des opérations de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme elles n’exécutent aucune de celles-ci et elles n’établissent ni ne poursuivent aucune relation d’affaires. Elles doivent procéder dans les délais les plus brefs à la déclaration de soupçon auprès de l’autorité habilitée.
L’article L561–10 –2 précise que les personnes astreintes aux obligations de vigilance doivent effectuer un examen renforcé lorsque l’opération est particulièrement complexe ou d’un montant inhabituellement élevé ou n’ayant aucune justification économique.
Elles doivent se renseigner auprès du client sur l’origine des fonds et la destination des sommes ainsi que sur l’objet des opérations.
En cas de soupçon, les personnes concernées doivent établir une déclaration de soupçon auprès de la cellule TRACFIN.
Le respect des obligations déresponsabilise le professionnel
Aucune poursuite pénale ne peut être engagée contre les personnes de bonne foi qui ont transmis la déclaration conformément aux dispositions législatives et réglementaires.
Par contre, les personnes qui compte tenu des circonstances ont omis de transmettre celle-ci sont susceptibles d’être poursuivies pénalement.
Les banques sont donc tenues aux obligations de vigilance et doivent appliquer les procédures nécessaires afin d’éviter les poursuites en matière de blanchiment.
À quel moment une banque peut-elle être poursuivie ?
Sa défaillance en matière de vigilance ne constitue pas à elle seule un concours apporté à une opération de blanchiment.
Dans un arrêt du 19 juin 2024, la Cour de cassation apporte des précisions sur la notion de concours en matière de blanchiment.
Des flux financiers suspects sont réalisés par un groupe d’entreprises au profit de comptes bancaires étrangers domiciliés à Hong Kong et en Indonésie portant sur des sommes importantes, alimentés à partir d’un compte ouvert auprès d’un établissement bancaire en France. Ces flux financiers résultent d’une escroquerie relevant d’une opération type « chaîne de Ponzi ». Les responsables sont poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef d’escroquerie en bande organisée, blanchiment d’argent, entre autres.
La banque auprès de laquelle le compte qui avait permis les opérations était ouvert est également poursuivie pour blanchiment aggravé. Elle aurait facilité les opérations suspectes notamment en raison des virements vers les comptes étrangers sans avoir respecté méticuleusement ses obligations de vigilance.
Quelle position du tribunal correctionnel de Paris ?
Le tribunal correctionnel de Paris condamne les auteurs des opérations délictuelles et relaxe la banque pour insuffisance de preuves établissant sa responsabilité.
La Cour d’appel condamne la banque pour blanchiment aggravé, celle-ci ayant manqué gravement à ses obligations de vigilance et ayant procédé à la déclaration de soupçon avec retard.
Les manquements aux obligations de vigilance résultent d’un certain nombre d’éléments : le montant des flux financiers et leurs destinations auraient dû éveiller les soupçons de la banque. Elle a failli dans l’étude des documents transmis notamment les contrats et les justificatifs douteux.
Le taux de rendement est anormalement élevé, ce qui aurait dû l’amener à effectuer une analyse approfondie. D’autres manquements sont rappelés.
Quelle défense de la banque dans ce dossier ?
Selon la banque, le délit de blanchiment est caractérisé par un acte matériel de concours au blanchiment. Le non-respect des obligations professionnelles en matière d’obligations relatives à la lutte contre le blanchiment ne peut pas caractériser l’élément matériel du blanchiment. Elle a manqué de vigilance, mais n’a pas participé activement à l’escroquerie.
La Cour d’appel constate néanmoins qu’un certain nombre de signaux aurait dû l’alarmer et la faire réagir. Elle reproche une mauvaise organisation du système de vigilance et un cloisonnement des services. Les juges retiennent des éléments démontrant la défaillance de la banque en matière de surveillance tant au niveau financier que juridique et comptable (qualité de conseil en investissement et gestion patrimoniale des mis en cause, flux financiers disproportionnés, taux de rendement irréaliste, justificatifs du client douteux, territoire [Indonésie] dans lequel ces opérations ont été effectuées.
Néanmoins, ils limitent la période de responsabilité solidaire de celle-ci à la période durant laquelle elle n’avait pas pu ignorer les flux frauduleux, soit à 50 % des indemnités dues aux parties civiles et la condamnent pour blanchiment aggravé.
La cour confirme la condamnation pour le délit de blanchiment.
La Cour de cassation confirme que les manquements de la banque constituent bien un concours au délit de blanchiment.
Elle précise que le seul manquement aux obligations de vigilance ne constitue pas un concours apporté à une opération de blanchiment.
Seule l’analyse des circonstances qui ont permis la réalisation des opérations frauduleuses par l’intermédiaire de la banque qui a mis à disposition un compte bancaire sur lequel elle a exécuté des opérations de virement vers l’étranger permet de retenir l’implication de celle-ci.
Compte tenu des informations que détenait la banque, celle-ci ne pouvait ignorer l’origine frauduleuse des fonds.
La déclaration de soupçon ne peut pas écarter la responsabilité pénale de la banque lorsque celle-ci est établie avec retard.
Elle confirme la condamnation pour le délit de blanchiment.
Elle annule la limitation à 50 %, car tous les coauteurs d’un délit connexe sont solidairement responsables du préjudice total.
Sources : arrêt de la Cour de cassation du 19 juin 2024, pourvoi no 22-81808